Piotr Grudzinski Photography




Le mur mensuel des polonais

Krakowskie Przedmieście à Varsovie, entre la Place du Chateau et le Palais présidentiel

Tous les 10 du mois, en mémoire aux victimes de la catastrophe de Smolensk où le président Lech Kaczynski périt avec tout l’état major dans un accident d’avion en 2010, une messe géante est organisée par le leader du parti majoritaire, actuellement au pouvoir (PiS, Droit et Justice), Jaroslaw Kaczynski, le frère jumeau de feu le président, voue un culte particulièrement obsessionnel à cet accident d’avion qui, contre toute vérité établie jusqu’alors, a été selon lui fomenté par l’opposition, alors au pouvoir, et incarné par l’ex premier ministre Donald Tusk. 

Il exhorte alors tous les ”patriotes” de Pologne, les nationalistes aux revers souvent racistes et xénophobes, à venir prier avec lui. A cette occasion, la vieille ville de Varsovie, autour du Palais présidentiel, est réquisitionnée par la police, qui avec ses barrières imposantes et clivantes, met en place ce qui ressemble à un véritable mur, alors que ce devait être au départ une voie pour protéger la messe des ”intrusions” d’éventuels opposants. Ceux-ci n’ont aucunement le droit de se rassembler, pour manifester d’éventuelles protestations, ou du moins pas plus de 5 minutes (contre plusieurs heures de fermeture de rues, réservées au défilé religieux organisé par Kaczynski).


Place du Château

Cette manifestation mensuelle réunit donc tous les 10 du mois les farouches partisans d’une lutte sans merci pour la défense du pays, contre les puissances extérieures (Europe, Etats Unis, Juifs), les ennemis religieux, les étrangers. Avec en plus cette dose de post-vérité qui attribut l’accident de Smolensk à un commanditaire imaginaire, il y a de quoi réagir les opposants. Pour cette journée, le pouvoir les musèle et les cantonne à une manif de quelques minutes seulement. Tout ceci sous l’oeil d’Amnesty International qui, alerté par des conditions de libre expression dégradée, vérifie l’absence de débordement.


Le mouvement des “Citoyens Polonais” revendiquent l’égalité entre tous

C’est ainsi que ce “cirque” dure depuis quelques années déjà, ce prétexte d’hommage mensuel est une manière pour le parti au pouvoir d’asseoir et de rappeler qu’en Pologne actuellement, même si l’on est loin de la période répressive sous le communisme, les partisans d’un espace public libre, démocratique et ouvert à tous, ne sont pas les bienvenus. On accentue plutôt les clivages entre les “patriotes” et les polonais “de la pire espèce” (citation de Kaczynski lui-même).



PORTES - « Le langage porte en soi la dialectique de l’ouvert et du fermé . Par le sens, il enferme par l’expression poétique, il ouvre. » (Gaston Bachelard)

Le langage, obéissant à des règles d’usages, a son sens libéré lorsqu’il est transfiguré. Les portes ont physiquement le double emploi d’ouvrir et de fermer, mais ferme-t-on la porte pour séquestrer ou pour protéger, l’ouvre-t-on pour donner confiance, ou l’entrouvrir pour attirer la curiosité ou le danger ? Pour passer au dedans, au dehors ?


Les contradictions permanentes entre les dehors et les dedans. “La vie n’a qu’une porte et mille la mort” : une seule voie vous amène à la vie quand mille autres tracent le chemin  de l’existence, jusqu’à sa fin. Lorsqu’une voie parait tracer un dedans assurément inchangé, voilà qu’elle offre un dehors, une vision, une perception de l’au delà qu’on ne soupçonnait plus.

Mille cheminements futurs pour un seul passage, la porte. Le vécu, c’est l’entrée-sortie perpétuel, la poignée unique entre l’avant et le nouveau. Lieu d’inconfort d’abord, il s’apprivoise si l‘“avoir été” est accueilli avec l’être renouvelé, si de ce passage on gagne à avoir les bénéfices d’un un rite d’initiation. 


1000 portes peuvent s’offrir à nos yeux mais aucune n’est atteinte si nos intérieurs restent sur le seuil. Là où l’avoir été, plutôt qu’une passerelle, résonne lourdement comme une chaine qui nous retient, s’imagine comme tenace et immobilisant notre mental. Làs, le mutisme sonne le glas, les traverses naissent enfin par l’unique parole, les portes s’offrent enfin par milliers.  


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